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Les politiques publiques dans les différents pays européens insistent sur les liens à construire entre activités physiques et prévention de la santé (Cavill, Kahlmeier, Racioppi, 2009 ; OMS, 2010 ; Rostan, Simon, Ulmer, 2010). Les recommandations soulignent la nécessité d’une activité physique de 60 minutes journalières pour les enfants et les jeunes et de trente minutes pour les adultes.
L’Organisation mondiale de la santé (2010) complète le conseil en différenciant l’intensité des pratiques hebdomadaires : 150 minutes d’activités requises, dont 75 minutes à intensité soutenue. Les modes de déplacements et les activités sportives de loisir, combinés aux aspects nutritionnels, sont ainsi convoqués au sein de programmes nationaux de prévention primaire, secondaire et tertiaire, mais aussi de lutte contre la sédentarité (par exemple le programme « Nutrition santé » ou « Manger et bouger » en France, « Vivons sainement » en Slovénie…). Dans une perspective sanitaire, mais aussi politique et économique, des normes corporelles sont ainsi construites par les acteurs politiques à destination des personnes sédentaires, notamment dans les milieux les plus vulnérables et les plus pauvres. Ces fractions sociales, davantage touchées par les maladies chroniques de la sédentarité comme l’obésité, le diabète, les maladies cardio-vasculaires (INSERM, 2005, Perrin et al., 2002), font l’objet d’un ciblage particulier de ces politiques des corps à destination des milieux populaires, surtout les plus précarisés (Fassin, Memmi, 2004 ;Faure, 2009).
Cette injonction à la pratique d’activités physiques quotidiennes semble être en décalage avec les représentations et usages du corps des populations vulnérables dans les territoires populaires urbains, qui valorisent le repos, la convivialité, la sensation, les activités ludiques et les réseaux sociaux pour les plus jeunes (Vieille Marchiset, 2009). La santé, définie par les politiques publiques comme le bien-être physique et mental, reste peu associé aux activités physiques et au sport dans les milieux populaires. Le corps y est d’abord perçu comme un capital lié au travail à préserver de la maladie (Boltanski, 1971) : s’érige une croyance en un destin de classe et une soumission forte des individus au travail à l’origine du primat du corps laborieux sur le corps gratifié (Schwartz, 1990). Les activités physiques restent associées, dans cet imaginaire transmis, au travail en force : le corps qu’il soit féminin ou masculin doit demeurer robuste et résistant aux épreuves de la vie (Vieille Marchiset, Gasparini, 2010). Les changements dans l’occupation professionnelle des fractions populaires, notamment dans le passage des emplois ouvriers aux métiers de service, n’ont pas modifié ces vestiges du passé ouvrier. Les situations de chômage n’ont pas non plus transformé cette association séculaire entre travail physique et usages actifs des corps dans les milieux populaires, surtout les plus précaires.
En outre, le « corps en peine », selon le mot de Françoise Loux, demeure un stigmate de pauvreté à faire voir pour bénéficier des politiques de solidarité et des liens d’assistance privée. L’exposition d’un corps meurtri reste une ruse des plus faibles pour justifier les aides publiques ou privées (Memmi, 2002). Dès lors, pour les populations les plus vulnérables, avoir une activité physique régulière dans une optique sanitaire revient à renier une façon d’être et un possible mode de subsistance liés à un corps meurtri : ces politiques de prévention de la santé par les activités physiques semblent alors être en rupture avec les représentations et usages des corps au sein de ces populations précarisées.
Ainsi, face à ces populations pauvres disqualifiées, l’injonction normative des politiques publiques semble apparaître comme un déni de la réalité des vies fragilisées, mais aussi comme une voie nouvelle de disqualification de leurs conditions de vie. Depuis les travaux fondateurs de Georges Simmel, repris en France par Serge Paugam (1991), le pauvre est défini par la relation d’assistance qu’il génère (notamment en termes d’allocations financières) : comme le précise Simmel, « est pauvre celui dont les moyens ne suffisent pas aux fins qu’il poursuit ». Autrement dit, les populations précarisées ne peuvent pas subvenir à leurs besoins et à leurs désirs. Au-delà de la logique économique des seuils, les pouvoirs publics précisent ainsi ce qui relève de la pauvreté par la relation d’aide qu’ils instaurent avec les plus vulnérables. A ce titre, les normes corporelles, liés à la lutte contre la sédentarité par l’activité physique régulière, semblent contribuer à jeter un discrédit supplémentaire sur ces fractions sociales pauvres. En effet, la méconnaissance des usages et normes corporelles de catégories populaires produit des campagnes et des dispositifs de prévention peu adaptés et éloignent davantage les populations précaires des modes de vie sains : en voulant préserver leurs façon singulière de vivre leur corps, les populations pauvres s’excluent encore davantage des conduites liées à la santé et au bien-être. Aussi, en prenant les pas d’Elias et Scotson (1965), pourrait-on parler de logiques d’exclusion non voulues, inhérentes à cette action publique singulière.
Au final, notre projet de recherche est animé par deux corps d’hypothèses dialectiquement liés : le premier introduit l’idée de décalage entre les normes corporelles des politiques de prévention par l’activité physique et les usages sociaux du corps des populations précarisées ; le second met en exergue le nouveau discrédit ou la disqualification supplémentaire, associés à cet écart, puisque les normes corporelles contribuent encore à stigmatiser les populations pauvres. Cette perspective critique permettra aux politiques de prévention et d’éducation à la santé de mieux adapter les messages et les dispositifs aux publics ciblés dans les domaine des activités physiques à visée sanitaire et sociale.
Mots clés : activités physiques, santé, prévention, pauvreté, milieux populaires, politiques publiques, corps.
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